À l’instigation de l’éminent animateur de la R.T.T. et producteur de remarquables émissions radiophoniques, Habib Jegham, la Commission Culturelle d’Hammam-Sousse organise, aujourd’hui samedi, à «La Maison de la culture» de cette ville, la 23e commémoration de la mort de l’inoubliable homme d’éducation et de culture, feu Cheikh Mohamed El Bahri, qui s’est éteint en 1998 à l’âge de 95 ans, après avoir réalisé une belle œuvre éducative et culturelle que d’aucuns qualifieraient de prodigieuse.
Animé d’un souffle presque prophétique et d’une passion rare pour le savoir, pour l’enseignement et l’éucation, prodigieusement avancé sur le plan intellectuel par rapport à sa génération souvent réduite à l’analphabétisme, Cheikh Mohamed Bahri, riche de sa bonne formation à la «Zeitouna» et de son expérience d’instituteur, a tenu à surmonter tous les obstacles pour fonder, en 1946, en pleine «Rahba» du village d’Hammam-Sousse, l’une des plus importantes écoles du Sahel, «Al-Akhlaq» qu’il s’est échiné à faire construire avec les moyens bien modestes que plusieurs habitants, croyant en son action éducative et le soutenant avec foi, avaient mis à sa disposition, et qu’il n’a eu de cesse qu’il n’ait ouverte, le 1er octobre 1947, aux enfants du peuple qui n’avaient pas toujours la chance d’être inscrits à l’école coloniale. Ouverture quasi triomphale, d’après les témoignages de certains, qui a tout de suite remporté un franc succès, puisque les parents furent très nombreux à y inscrire leurs enfants, même lorsqu’ils n’avaient plus l’âge d’être élèves à l’école primaire : Cheikh Mohamed Bahri aimait rappeler à ce propos que des adolescents, qui commençaient déjà à se raser la barbe, étaient parmi les apprenants de cette école qu’il a dirigée de main de maître et avec détermination pas moins de vingt-cinq années consécutives (1947-1972) et qui a formé de nombreuses générations d’élèves et contribué puissamment à la lutte existentielle contre l’analphabétisme, mais aussi contre la colonisation. Car Cheikh El Bahri était aussi un militant nationaliste et il investissait son établissement de la noble mission de participer au combat national contre le colonisateur. Lequel préférait tenir dans l’ignorance la population afin de mieux l’assujettir, la dominer et l’exploiter. Car «Au colonisé, on ne demande que ses bras (et non son esprit et son instruction), et il n’est que cela», écrivait Albert Memmi dans «Portrait du colonisé» (p. 110). Cheikh El Bahri savait, lui, que la vraie indépendance de la Tunisie commençait sur les bancs de l’école, du savoir et de la culture. Pour cela, tous les habitants de sa région lui vouent jusqu’aujourd’hui beaucoup de respect et lui font une place de choix dans leur mémoire collective toujours reconnaissante et fidèle. Sa réputation de bâtisseur est solidement établie et personne ne trouve à redire à son action, même ses quelques rares adversaires politiques qui savent faire la part des choses et saluer son œuvre éducative libératrice. Fort nombreux, on le sait, sont aujourd’hui les anciens élèves de cette école qui sont devenus médecins, ingénieurs, banquiers, instituteurs, journalistes, économistes, écrivains, professeurs, enseignants universitaires, hommes d’affaire, etc. et qui doivent une fière chandelle à cet éducateur constructeur et visionnaire.
Cheikh El Bahri, était connu aussi pour être un passionné de poésie arabe : quand il était adolescent, nous racontait-il dans l’entretien qu’il nous avait accordés, une année avant son extinction et que nous avons publié dans le supplément culturel du quotidien «Essabah» dans sa livraison du 16 novembre 1997 (page 21), il arpentait les rues du village en déclamant des poèmes de Ahmed Chawqui, de Abou Taieb El Moutani et de Aboulkacem El Chebbi. Les anciens participants au festival El Kantaoui dans sa session de l’été 1985 ou 1986 se souviennent encore avec émotion de la grande soirée poétique qu’on y a animée et où Cheikh El Bahri, a déclamé d’une voix chaude et belle plusieurs poèmes en langue arabe et a été chaleureusement applaudi par le public des artistes, poètes et professeurs de la ville. Homme de grande culture, fin, souriant, éloquent, humble, populaire, à la parole souvent pertinente et délicate qui savait parler aux jeunes, de quelque tendance idéologique qu’ils fussent, avec humilité et respect, Cheïkh El Bahri qui se distinguait aussi par sa djebba et haute chéchia «magidi» rouge, avait plusieurs cordes à son arc : outre sa responsabilité de directeur de l’école «Al-Akhlaq», il était aussi l’un des fondateurs de l’école des filles du village, le président de «l’Association de l’éducation et de la famille», le président de «L’Association de la conservation du Saint Coran», le président de l’équipe de football «L’Espoir» (en 1956), mais aussi membre de l’association du «Croissant-Rouge». Il était partout où il se savait utile, partout où il pouvait aider les enfants et les jeunes à aller de l’avant, à s’émanciper des ténèbres de l’analphabétisme et à découvrir les lumières du savoir et de la vie.
Les jeunes, mais aussi les vieux, lui rendent aujourd’hui un bel hommage d’amour et de gratitude à travers une grande exposition de ses vieilles photos sur lesquelles on pourrait le voir en plein dans son action éducative et culturelle, souvent avec les différentes promotions de ses élèves et les multiples excellents instituteurs de son école, dont nous aimons à citer feu Sadok Morjan Abicha, M. Abdelwahab Bourkhis, feu Abdelmagid Rzuiga, la feue Zmorda Rzuiga-Jegham, feu Ameur Hassayoun, feu Ali Kormani, feu Ben Sliman, feu Abdemagid Chamsi-Boujaâffar, M. Abderrazak Ben Dhiab, Mme Tounès-Zakia Daouas, M. Habib Hlel, feu Ali Hassassi, feu Tahar Ayachi, feu Gaha, et bien d’autres qui, comme lui, s’illustraient dans leur beau métier d’éducateurs et durent encore dans nos mémoires. Ce sont aussi des photos où l’on pourrait voir un peu de l’histoire de ce village d’Hammam-Sousse devenu une grande ville.
Habib Jegham fera aussi écouter au public, à cette occasion, une vieille émission radiophonique au cours de laquelle il a donné la parole à feu Cheikh El Bahri pour parler de son action éducative et de son établissement dont parlera aussi, dans un autre enregistrement, feu Hédi Baccouche, ami du Cheïkh et témoin de l’histoire d’Hammam-Sousse et de la Tunisie bourguibienne.
Paix à l’âme de Cheikh Mohamed El Bahri et à celles de tous les grands hommes tunisiens qui nous ont quittés en laissant leurs traces lumineuses sur l’histoire de notre pays !